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Tribune | Revaloriser nos métiers et le « goût des autres »

En octobre dernier, l’Association nationale d’entraide (Anef) réunissait des acteurs du secteur autour de la question : «Quel travail social voulons-nous ? ». En réponse, l’association a tracé deux axes stratégiques pour l’avenir que nous présente son président François Roche.

 

« QUEL TRAVAIL SOCIAL VOULONS- NOUS ? était le thème du colloque du 18 Octobre 2022 organisé par l’ANEF Vallée du Rhône à Valence. La majorité des 240 participants en présentiel (d’autres en streaming) étaient des professionnels du travail social venus de 11 départements dans lesquels une association-membre de la Fédération ANEF est implantée. Ils ont fêté le 70° anniversaire de l’ANEF, entendu des analyses et témoignages de leurs pairs, débattu avec les intervenants nationaux représentant le Haut Conseil du Travail Social, Le Conseil Economique, Social et Environnemental et la Fédération des Acteurs de la Solidarité[1].

En conclusion, la proposition construite à partir des travaux préparatoires au colloque et des orientations du conseil d’administration ANEF a parfaitement coïncidé avec les débats de la journée. Ainsi, la Fédération ANEF a tracé 2 axes stratégiques pour l’avenir du travail social, proposé 2 postures professionnelles et offert un réseau pour les associations qui souhaitent poursuivre cette dynamique.

 

Prenant le contrepied du doute et du renoncement ambiants -« à quoi bon ! »- l’ANEF affirme une position engagée. Elle confirme la pertinence des choix faits à sa fondation : partage de valeurs humanistes, professionnalisme des interventions, entraide entre acteurs. Son expérience multiforme de 70 ans et la reconnaissance d’utilité publique acquise il y a 54 ans sont des appuis solides pour un engagement réaliste. A la question de « Quel travail social voulons-nous », l’ANEF répond par 2 axes stratégiques : les métiers de l’action sociale doivent être revalorisés maintenant, et il faut les pratiquer avec l’ambition de faire progresser l’humanisme et la cohésion sociale.  

 

Nous pouvons obtenir la revalorisation des métiers de l’action sociale. Parce que les métiers du socio-éducatif et du médico-social sont essentiels dans notre société face aux situations de vulnérabilité, de fragilité et de pauvreté. Parce que tous les métiers employés dans nos associations (travailleurs sociaux et aussi cadres ou techniciens des services-supports) sont nécessaires pour mettre en œuvre l’action sociale. Parce que nous ne renonçons pas à ce qui a été construit dans les dernières décennies pour la solidarité et que nous contribuerons à l’évolution des politiques sociales. C’est attendu depuis 30 ans. C’est annoncé depuis 15 ans[2]. C’est accessible à court terme.

Faire progresser l’humanisme et la cohésion sociale, c’est une ambition immense… mais que nous pouvons porter à notre manière d’associations de taille modeste. L’humanisme, c’est l’universalisme et les droits de l’homme vus et vécus d’abord comme ceux des femmes et des enfants les plus vulnérables. La cohésion sociale, c’est le goût des autres, le tact dans les relations interhumaines, la lutte contre les inégalités et pour la dignité. Notre manière, c’est celle des initiateurs de la solidarité qui ont précédé les lois du marché et les normes administratives, celle de ceux qui sont attachés à la relation directe et à la créativité facilités par la petite taille des structures. C’est une manière minoritaire dans notre société complexe et émiettée, mais qui dessine un avenir désirable et possible.

 

Pour l’avenir du travail social dans le monde que nous voulons, l’ANEF propose aux professionnels de la solidarité d’adopter 2 postures radicales, d’être les alliés des personnes accompagnées dans leurs parcours, et de se comporter en artisans inventifs et coopératifs.

 

Etre allié est un engagement aux côtés des personnes préalablement écoutées dans leur contexte, leur histoire et leurs choix. Se situer comme allié des personnes accompagnées dans leurs parcours, c’est valider les savoirs qu’elles tirent de l’expérience : s’appuyer sur les savoirs d’usage que les personnes accompagnées tirent de leur vécu est aussi important que de compter sur les savoir-faires professionnels et sur les connaissances théoriques. Les accompagner consiste donc à travailler avec elles, en fonction de leurs capacités et de leur consentement, à travers les divers dispositifs, ressources locales et techniques.

 

Se comporter en artisans inventant en équipe des modes d’action personnalisés, efficaces et durables, c’est une façon d’adapter ses modes d’action à la particularité de chaque situation. Etre artisan signifie utiliser ses compétences, son expertise comme un moyen d’interpréter ses missions (interpréter comme le font les musiciens), Cette manière d’agir qui se préoccupe de la finalité et des conséquences de chaque action se régule en équipe et renforce la qualité des interventions professionnelles. Elle n’est pas réservée au travail individuel dans la mesure où les artisans pratiquent l’entraide et la coopération dans les groupes.  Et en plus, elle est sympa !

 

Mais il ne faut pas rêver ! Nous vivons dans une société qui glisse de plus en plus vers le repli sur soi des individus, et vers la marchandisation des échanges dominés par la consommation de masse. Il faut donc que les travailleurs sociaux soient soutenus par des organisations qui s’opposent à ces tendances et qui partagent les buts des professions sociales, les associations oeuvrant dans l’action sociale. A ces associations à but non-lucratif, l’ANEF propose une position citoyenne, de corps intermédiaire composé de membres actifs et fonctionnant en réseaux.

 

Les associations sont des corps intermédiaires qui tissent le lien social dans la société. Celles qui mettent en œuvre l’action sociale aident spécifiquement les personnes les plus en difficultés tout en contribuant à l’intérêt général. Personnes morales, elles observent les besoins et s’impliquent dans la lutte contre les violences, la protection de l’enfance, la lutte contre la pauvreté. Elles partagent et portent des analyses et des propositions aux plus hauts niveaux.

Pour qu’elles restent des associations de personnes et pas seulement des structures gestionnaires, les membres-adhérents y tiennent des rôles actifs. Pas dans les interventions, qui sont confiées aux professionnels qualifiés mais en suivant les activités et en développant la notoriété. Les adhérents (personnes accompagnées, salariés, bénévoles permanents ou mécènes de compétences, personnes morales partenaires) apportent leur point de vue propre dans les structures de participation voire au conseil d’administration. Des fonds de dotations recueillent des fonds privés pour étoffer les missions principales par des actions et des moyens supplémentaires.

En réseaux, les associations s’épaulent mutuellement et efficacement. Dans la Fédération ANEF par exemple, les associations-membres se réunissent 3 fois par an, organisent des stages de formation et des colloques, assurent des actions en groupements de coopération, portent des communications publiques et soutiennent des initiatives de leurs membres. Localement, les associations utilisent des réseaux pour éviter l’isolement et les concurrences stériles. Il faut continuer à développer des espaces communs pour partager entre associations et soutenir le dynamisme de chacune.

 

Après avoir manifesté sa détermination, l’ANEF invite à partager ses propositions. Parce qu’en 2022, il y a une véritable « cristallisation » des questions sociales et des demandes de revalorisation financière et symbolique. L’Etat ne voulant plus être LA Providence, nous avons l’obligation d’adapter le travail social à des politiques sociales d’activation et de responsabilisation des individus. Il nous revient donc de poursuivre la réflexion puis de passer à l’action et aux coopérations. Allons-y !

 

Fédération ANEF, François Roche, président, 3 novembre 2022

 

Siège Social : 34, Rue Niel 63100 Clermont Ferrand. Tel 04 73 14 51 51 ; http://federation-anef.fr/

[1] Se référant au Livre vert du travail social, HCTS 2022, à l’avis Les métiers de la cohésion sociale, CESE 2022, au Plaidoyer CNPA CRPA, Paroles sans filtres

[2] Conseil Supérieur du travail social, Le travail social aujourd’hui et demain, EHESS 2009 (voir lettre de mission de la Secrétaire d’Etat auprès du ministre du Travail, des Relations Sociales et de la Solidarité chargée de la Solidarité) et plaquette  Devenir travailleur social » DGCS 2009

 

Tribune publiée dans les Actualités Sociale Hebdomadaires n°3285.